Les conteurs d’histoires, véritables leaders

 

En juin 2016, lors de la cérémonie de remise des diplômes à l’école de management HEC, Emmanuel Faber, devenu depuis PDG de Danone, prend la parole pendant 9 petites minutes. Jusqu’ici rien d’étonnant hormis qu’il choisit de raconter une histoire personnelle, c’est-à-dire d’utiliser la puissance du storytelling, pour partager la valeur cardinale qui l’anime au quotidien, celle de la justice sociale. Lors de ce moment rare, surtout en France où les orateurs comme les audiences sont peu familiers de ce type de prise de parole, Emmanuel Faber révèle le destin tragique de son frère, hospitalisé très jeune pour cause de schizophrénie. C’est au côté de ce dernier, qui aidait les SDF et les personnes en difficulté, qu’il a appris l’importance de la justice sociale.

Des connaissances… et de l’émotion !

Ce récit, plein d’émotions, n’est pas une simple histoire, c’est avant tout une leçon de vie, utile pour l’audience qui l’écoute. Or, beaucoup de dirigeants refusent de s’exprimer ainsi, ne sachant pas la plupart du temps comment faire, et pensant parfois que cela a peu d’intérêt de « raconter des histoires ». Aucune place donc pour les récits au sein des organisations, lieux où la raison doit triompher. Pourtant, l’un des rôles fondamentaux du leader est de motiver et de fédérer ses collaborateurs pour atteindre des objectifs précis, ces derniers participant à la réalisation d’une vision commune. 

Et pour y parvenir, les statistiques et les démonstrations logiques ne suffisent pas malgré leurs utilisations massives. En effet, face à de tels propos, soit le leader se confronte à des réticences sérieuses car les données qu’il avance peuvent toujours être remises en cause, soit il parvient à convaincre mais simplement sur un plan rationnel. Or, ce dernier ne peut jamais être source d’inspiration et de dépassement de soi sur le long terme, éléments pourtant nécessaires pour tirer le meilleur de chaque collaborateur.

Déjà durant l’Antiquité, Aristote affirmait que tout bon discours devait faire appel à la raison (le logos) et aux émotions (le pathos). Mieux, les travaux de recherche les plus récents démontrent que les émotions sont le chemin le plus court et le plus rapide pour convaincre et persuader. D’ailleurs, Jeff Bezos, fondateur et PDG d’Amazon, a été l’un des premiers dirigeants à bannir les présentations Power Point lors des réunions au sein de son entreprise. A la place, les collaborateurs rédigent des mémos qui sont structurés comme des histoires. 

Un lien émotionnel et affectif aux choses

Par la suite, les travaux menés par Steve Denning, l’un des premiers à avoir étudié le rôle du storytelling dans les organisations, montrent que nous nous levons le matin, et éprouvons une motivation à toute épreuve, si et seulement si nous avons un lien émotionnel et affectif aux projets que nous menons, à l’entreprise dans laquelle nous exerçons ou dans le leader pour lequel nous travaillons.

C’est pourquoi le leader doit lier chacune de ses idées à des émotions. Cela requiert de sortir de sa zone de confort, c’est-à-dire d’argumentations purement rationnelles, basées le plus souvent sur des supports Power Point. Au contraire, il doit accepter de partager des expériences personnelles, notamment des moments difficiles. En effet, tout récit repose sur des conflits qui sont autant d’obstacles à surmonter pour provoquer un changement. 

Prenons une start-up fictive, Strawberry, qui fabrique des écharpes de luxe. A la recherche de fonds, son fondateur pourrait détailler son projet de façon purement analytique, en évoquant l’ensemble des détails techniques de ses produits. Mais, son pouvoir de conviction ne se déploiera réellement que s’il met en avant les expériences personnelles qui sous-tendent son projet. Par exemple, il pourrait partager le moment où il eut l’idée de créer son entreprise : un voyage à l’autre bout du monde ou le souvenir de sa mère qui portait toujours de belles écharpes.

De cette situation initiale, des défis, aussi bien technologiques, financiers qu’humains, se dresseraient en travers de son chemin. Et, un à un, il présenterait les solutions mises en place pour développer son entreprise, et détailler ici les aspects techniques les plus importants si besoin. Cette seconde façon de présenter les faits est bien plus susceptible d’engager les investisseurs que la première. Comme le rappelle Carmine Gallo, les grands discours de Steve Jobs, à Stanford en 2005 ou lors de ses célèbres keynotes, font ainsi abondamment appel au storytelling

Les histoires ne sont pas que tromperies…

Les histoires, comme le soutien par exemple Christian Salmon dans son ouvrage Storytelling: La machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, sont souvent accusées d’exagérer, de tromper voire de manipuler. Bien sûr, comme n’importe quelle méthode, elles peuvent en effet être utilisées à mauvais escient. Mais il en est de même des statistiques, fichiers Excel ou présentations prétendument argumentées qui peuvent tout autant s’arranger avec la vérité. D’ailleurs, le phénomène des fakes news ne cesse de gagner du terrain alors que nous disposons de tous les outils pour vérifier la véracité des faits avancés. 

Etre un excellent conteur d’histoires n’est pas synonyme d’être un excellent leader. Néanmoins, c’est une condition sine qua non pour inspirer une audience, lui demander de s’engager et de changer le cours des choses. Le storytelling crée un lien émotionnel, voire affectif, entre l’orateur et son audience, un lien bien plus fort que la seule présentation rationnelle de faits.

 
 
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